Ma rencontre avec le Systema


“ Un article écrit par Areski Ouzrout sur le Systema et notre club. Areski est un des plus haut gradé de Karaté en France ( 7eme Dan), auteur de plusieurs livres sur le Karaté, et élève qui s’entraine régulièrement chez nous. Merci Areski.” JK.

C’est grâce à un ami qui ne pratique aucun art martial que j’ai connu le Systema. Un jour, il me demanda ce que je pensais de cette discipline et voulait entendre mon avis d’expert puisque je suis adepte des arts martiaux japonais depuis très longtemps. Nous nous sommes alors installés dans son salon pour visionner des vidéos de Systema. Je les trouvais très intéressantes tout en étant déconcertantes. En effet, les experts se défaisaient de différentes situations avec beaucoup d’aisance et les attaquants ne faisaient jamais deux fois la même chose, les réponses aux attaques aussi étaient variées, parfois inattendues et les situations ne semblaient pas pré-arrangées. Je ne savais quoi en penser, cela semblait très efficace et en même temps mes repères habituels étaient brouillés….  Ce qui me marqua le plus dans ces vidéos, c’est la facilité avec laquelle chaque situation d’agression était résolue, sans agressivité et sans réponse disproportionnée ; la façon dont l’attaquant gérait les coups qu’il recevait m’étonnait tout autant. Ces scènes donnaient l’impression que l’agresseur cherchait à saisir une savonnette mouillée qui lui glissait continuellement des mains. Il n’en fallu pas plus pour piquer ma curiosité et vouloir faire ma propre expérience afin d’avoir un avis éclairé sur cette discipline d’origine Russe.

Adolescent, j’ai commencé la pratique du karaté pour apprendre à me défendre, être plus fort, mais pas seulement ; mes lectures m’avaient inspiré vers d’autres motivations telles que la philosophie et la connaissance de soi. En poussant la porte des arts martiaux j’ai aussi ouvert les yeux sur beaucoup de choses et multiplié les expériences humaines, j’ai appris à vivre avec les autres et avec moi-même. J’ai compris que les arts martiaux étaient surtout des arts de vivre.

Depuis mes débuts dans le karaté, plusieurs disciplines, plus exotiques les unes que les autres ont déferlées sur le marché des arts martiaux, chacune mettant en avant une particularité qui existe plus ou moins dans les autres disciplines. Si les emballages étaient différents, dans le fond tout était presque semblable.

Bien que curieux des différentes pratiques existantes, je continuais à approfondir le karaté. Chaque art demande du temps pour être maîtrisé. Il faut faire des recherches, s’investir, s’entraîner, parfois même désapprendre ce que l’on pensait savoir. En changeant de discipline sans avoir eu le temps d’approfondir la précédente, on risque tout simplement de faire du sur place, comme un voyageur qui n’a pas de carte et se perd continuellement. Toutes les disciplines sont intéressantes, mais à quoi bon s’éparpiller puisque de toute façon ce ne sont que des chemins différents qui mènent au même sommet et finalement à soi-même.

Bien que las de toutes les nouvelles modes martiales, dès que j’ai pu en faire l’expérience, le Systema m’a séduit par son originalité et sa limpidité. Cet art Russe présente une approche innovante, pour ne pas dire révolutionnaire, afin de guider le pratiquant vers la maîtrise de soi et du combat. Rien n’y est laissé au hasard, que ce soit au niveau de la préparation physique, mentale, émotionnelle, psychologique et tactique. Qu’il s’agisse de se défendre debout, assis, allongé, contre un ou plusieurs adversaires, armés ou non, l’approche du Systema est si globale et logiquement articulée qu’elle permet de se décliner dans des situations infinies, même les plus inattendues et ce à partir de quelques principes. Le Systema est avant tout une discipline de survie.

Il y a de cela plus de vingt ans, un ami haut gradé à la fédération française de karaté, me confia en observant un cours d’aïkido, qu’il aimerait bien en faire mais en apprenant directement les principes sans passer par l’apprentissage technique fastidieux qui durerait encore cinq ou dix ans. Je pensais alors que ce n’était pas possible de faire l’économie de l’apprentissage technique car elle était le support pour acquérir le ou les principes. Aujourd’hui je sais que cette démarche est possible, c’est l’aspect que je trouve révolutionnaire dans le Systema : il n’y a pas d’apprentissage technique, on travaille sur des principes que chacun met en action et exprime à sa manière, librement, en développant son intelligence kinesthésique et en construisant sa propre façon de se défendre.

Mes études sur le karaté ces vingt dernières années m’ont amené à des réflexions sur les principes et la pédagogie.

Concernant les principes, j’en suis arrivé à la conclusion que l’expérience du combat avait conduit des experts à créer des techniques pour transmettre leur expérience et permettre plus tard à leurs disciples de redécouvrir par eux-mêmes les principes. Normalement, une fois ces principes compris on peut se libérer de la technique maintes fois répétée, qui n’est qu’un support pédagogique. C’est le stade où l’on fait « un » avec la technique, elle se fond en nous car on en a assimilé les principes. A partir de ce moment, on peut oublier ce qu’on a appris, les techniques et les katas, il ne reste plus que les principes intégrés profondément dans le corps et ses cellules, le corps agit sans être parasité par l’intellect ou le mental.

Hélas, pour ce que je connais de l’enseignement des arts martiaux dits traditionnels, rares sont les experts qui permettent aux élèves de s’émanciper en leur donnant réellement les clés qui conduisent à la connaissance et la maîtrise des principes de combat. Les raisons en sont les désirs de domination et de pouvoir, l’avidité et parfois même l’ignorance.

J’ai donc modestement cherché à approfondir ma réflexion sur la Genèse des techniques de karaté, allant  parfois à contre-courant de mes pairs. Le Systema m’a conforté dans l’orientation de mes recherches; j’allais dans le bon sens. J’y ai aussi découvert une mine d’or, comme des directions de travail et des outils qui me manquaient pour aller encore plus loin dans la compréhension de ma propre discipline.

Le Systema repose sur quelques principes simples, qu’il convient de toujours appliquer, mais bien sûr cette mise en œuvre requiert beaucoup de pratique, d’entraînement… Simple ne veut pas dire facile ! Il y a de nombreuses étapes à franchir pour maîtriser cette méthode, les plus difficiles se trouvent à l’intérieur de nous, elles résident principalement dans nos peurs et nos pensées limitantes.

L’approche pédagogique utilisée en Systema me fait penser aux travaux de Jean Piaget (1896-1980), psychologue, biologiste, logicien et épistémologiste Suisse. Ce dernier était partisan de l’acquis plutôt que de l’innée et travaillait donc sur l’adaptation, l’assimilation et l’accommodation. Il s’intéressait particulièrement au développement de l’enfant et de l’intelligence. Pour Piaget, l’intelligence se construit en donnant du sens à ce que nous vivons, ce que nous faisons et c’est par le mouvement que celle-ci se construit. Pour Piaget, on n’apprend pas un mouvement mais une solution motrice posée par un problème. Par exemple, l’enfant apprend à ouvrir une porte en manipulant la poignée jusqu’à ce qu’il arrive au résultat escompté. C’est exactement l’approche que l’on trouve dans le Systema, le professeur propose une situation où l’élève doit trouver ses propres solutions. Il ne s’agit pas de répéter inlassablement une technique mais d’expérimenter différentes façons de se défendre dans une situation donnée. En ce sens, le Systema est à mon avis une pratique révolutionnaire, moderne et humaniste. Oui, humaniste, le mot n’est pas trop fort car cette méthode fait confiance dans la capacité de l’individu à chercher et trouver par lui-même. Le pratiquant de Systema ne reproduit pas la gestuelle du professeur, il trouve la sienne propre en s’adaptant continuellement aux fluctuations des paramètres des exercices proposés. Cette méthode n’enferme pas l’individu, elle le libère en lui permettant de construire une forte confiance en soi.

La méthode du Systema de Valentin Tanalov que nous pratiquons au sein de Systema-France est à mes yeux une mise en pratique des travaux de Jean Piaget, même si le psychologue suisse n’était probablement pas connu des créateurs de cette discipline Russe. Cette dernière n’en n’est pas moins très pertinente sur le plan pédagogique : claire, cohérente, progressive, adaptable à tous les profils d’individu, réaliste et efficace. Chacun peut travailler à son niveau, qu’il soit débutant ou confirmé.

Dans tous les arts martiaux on travaille sur les aspects émotionnels et psychologiques, hélas trop souvent de manière empirique ce qui peut conduire à des effets inverses de ceux recherchés au départ. En Systema ces approches sont fondamentales, l’élève apprend à progresser dans la gestion du stress et des émotions, pour ne pas perdre ses moyens dans une confrontation réelle où autres événements de la vie. Une approche méthodique est proposée, ce qui est important pour éviter d’accumuler des peurs puisqu’on veut s’en libérer pour prendre confiance en soi afin d’agir avec justesse au moment opportun. Le travail sur la respiration ainsi qu’une progressivité de la vitesse d’exécution est la pierre angulaire du travail émotionnel et psychologique. Négliger ces aspects du combat c’est oublier de poser les fondations d’une maison, toutes nos connaissances s’effondreraient lors d’une situation critique menant à un état de stress élevé.

L’apprentissage du Systema commence par des exercices en lenteur mais ce n’est pas une finalité, c’est un moyen pour progresser. Quand la coordination motrice, l’adaptation du système nerveux au stress et le timing s’améliorent, alors la vitesse des exercices évoluent progressivement jusqu’à se rapprocher d’une situation réelle, quand le pratiquant est en capacité de le supporter, en prenant soin de la sécurité de ses partenaires. Cette approche ne m’a pas surpris, avant de commencer le Systema j’étais déjà convaincu de cette méthode progressive que j’applique depuis longtemps. C’est un champion du Monde de karaté qui m’a conforté dans l’idée que la vitesse s’acquiert par le travail lent. Aller vite sans maîtriser ce que l’on fait c’est se mettre en danger soi et son partenaire, c’est aussi la meilleure façon de masquer ses propres défauts et donc de se satisfaire de sa médiocrité. Il y a bien sûr encore d’autres bienfaits du travail en lenteur comme le développement de la conscience de soi et le travail sur l’Ego.

Pour conclure je dirais que ma rencontre avec le Systema marque pour moi une nouvelle étape. Cette discipline est un moyen pour se connaître et se maîtriser afin de bien vivre avec les autres et soi-même. Que ce soit sur le plan de la biomécanique, de la tactique et psychologie du combat, du contrôle du corps, de la gestion des émotions, le Systema est une méthode extrêmement bien structurée sans pour autant être figée. Chaque individu est encouragé à trouver sa façon de bouger, sa liberté de mouvement, c’est une méthode qui nous libère de nos schémas préconçus et rend l’individu acteur et créateur de sa progression. Pour moi c’est aussi la rencontre avec des pratiquants sincères, honnêtes et bienveillants qui permettent de progresser. Lors des échanges le corps ne ment pas, nous nous exposons tels que nous sommes, avec nos forces et nos faiblesses, nos ombres et nos lumières. La pratique honnête demande de l’humilité, de ne pas laisser notre Ego prendre le contrôle de nos émotions. Si vous n’avez pas encore essayé le Systema, faites comme moi, forgez votre propre opinion en tentant l’expérience. C’est seulement en goûtant que vous pourrez réellement connaître et apprécier la saveur du Systema.

Areski OUZROUT